Rouge
Dans les lueur orangés du soir, un bruit de ciseaux brisa le silence venant clore les journées trop chaudes, de la fin du mois d’août. Il s’agissait de la mère de Rouge coupant les étranges cheveux couleur sang de celle-ci . Pour Rouge c’était le début d’une nouvelle vie, dès ce soir elle pourrait partir et se rendre chez la devineresse qui lui dirait son avenir et la voie qu’elle devrait emprunter. Pour cela il était d’usage d’apporter ses cheveux ainsi qu’une bouteille de vin rouge, l’alcool libérant la vision. Rouge avait encore cette idéalisme naïf des enfants malgré les bougies chaque année plus nombreuses sur ses gâteaux d’anniversaires. Depuis son plus jeune âge, et sa première visite chez la devineresse, elle était toute vêtue de rouge, de ses cheveux (on ne savait si cette couleur capillaire était l’œuvre du diable, d’un autre sortilège ou une simple fantaisie de la nature) à ses souliers.
Cette couleur était devenue si présente qu’elle finit par remplacer son prénom originel. Partout où elle allait cette couleur et son nom sonnaient comme un avertissement, l’annonce d’un danger... Qui se révélait être une simple petite fille. Pourtant les gens qui la croisaient ne se privaient pas de l’observer et de se lancer dans des fantaisies d’explications, de théorie. Ainsi certains pensait que comme les insectes cette couleur avertissait du caractère dangereux, toxique d’approcher l’enfant, d’autres pensaient que ses parents de par leur idées communistes avait perverti l’enfant, et d’autres encore pensaient que c'était un stratagème qui visait à la trouver dans n’importe quelle foule aussi dense soit elle. Laquelle de ces théories était la bonne? Nul ne le savait le fait est que Rouge portait du rouge et c’était bien suffisant.
Justement la mère de Rouge venait de finir de dégarnir sa tête de ses cheveux et commençait à les ranger dans une enveloppe en papier tandis que Rouge enthousiasmée par son départ se hâtait de saisir son panier et la bouteille de vin rouge. Sa mère lui tendit alors l’enveloppe contenant ses cheveux et l’accompagna sur le pas de la porte non sans lui faire une ultime recommandation. « Rouge, ma petite, je t’ai donné une carte pour que tu ne te perdes pas, surtout ne parles à personne même pour demander ton chemin et fais bien attention au contenu de ton panier. N'ouvre pas la bouteille de vin, tu sais que c’est mauvais pour toi. Allez va ma chérie je t’aime !» Rouge pris à peine note des conseils de sa mère toute à son excitation de partir elle prit tout de même la peine de lancer un dernier « Mais oui Maman je ferais attention. Moi aussi je t’aime ! » mère et fille s’embrassèrent une dernière fois et Rouge s’élança en sautillant sur le trottoir, tandis que derrière elle le jour mourant laissait place à la nuit.
Les derniers bras du soleil prirent feu avant de disparaître derrière la vallée où se trouvait la maison de Rouge. La forêt se referma après chaque pas que Rouge fit. Elle devint un petit point brillant, flottant au milieu d’un océan de nuances de vert et de marron. Des bruits étranges parcouraient la nuit, des cris lui mangeaient les oreilles, des pleurs lointains, des hurlements. Rouge sentait ses larmes couvrir ses joues fragiles, ses mains tremblaient, ses pas hésitants s’arrêtaient à chaque son désagréable ; et souvent le son venait de près, de beaucoup trop près, comme s’il était juste derrière elle. Mais malgré tout elle continuait de marcher, occupant ses pensées par l’impatience face à la rencontre avec la voyante. Elle traversa des grandes roches, des maisons abandonnées, des lapins perdus dans le sombre.
Une heure plus tard, les bruits étranges provenant des buissons avaient disparu. Rouge apercevait de loin déjà la maison de la voyante, petite, entourée de buissons, illuminée par une lampe dans le jardin ; et une fierté bouillait à l’intérieur d’elle : elle n’avait eu besoin de la carte seulement deux fois pendant tout le trajet. L’itinéraire était comme une étoile au milieu d’un ciel noir. Elle sautilla jusqu'à être arrivée au chemin qui menait à la porte de la maison, puis elle se mit à marcher doucement avec la tête haute au cas où la voyante l’observait par les multiples fenêtres qui décoraient les vieux murs de la maison. Sa respiration était toujours rapide et elle n’osait pas regarder derrière elle, comme si quelque chose pourrait l’attaquer seulement si elle se permettait d’avoir vraiment peur.
Aucune lumière, aucune vie, ne venait de la maison sauf une fumée fine, grisée qui sortait de la petite cheminée. Les buissons mourants étaient remplis de roses, mais elles paraissent grises aussi sous la chaleur de la lampe du jardin. Rouge décida d’attendre dehors jusqu'à reconnaître un bruit, un signe mais le silence régna longtemps.
D’un coup, des lumières s'allumèrent dans la maison brusquement, le cri aigu d’un verre cassé brisa le vide et laissa la jeune fille terrorisée dans l’herbe. Elle était froide et immobile et n'eut pas à attendre longtemps avant d’entendre un hurlement grave de désespoir puis de voir une longue ombre surgir de la porte de la maison et traverser le jardin comme une tornade, se frottant contre la peau gelée de Rouge. Elle sentit de longs poils secs qui invitèrent des millions de frissons sur ses bras. Elle n'eut pas le temps d’identifier la créature avant que cette dernière ne disparaisse dans les bois.
Un pleur enfantin apparut derrière la porte grande ouverte. Rouge se précipita pour rentrer dans la maison retrouvant une vieille dame, vêtue d’un long tissu gris, accroupie par terre, ses long cheveux à la couleur de la pluie éparpillés sur son dos. Elle couvrit son visage sévèrement de deux longues mains qui ressemblaient à des papiers froncées et resta dos-tournée à la fille. La maison était presque vide, les lumières faibles faisaient apparaître seulement une petite table qui se trouvait au milieu de la chambre et deux tasses de café.
« Assieds-toi jeune fille, je t’en prie » murmura la voyante par terre avec impatience et douleur. Mais à la place, Rouge se mit sur ses genoux et posa une main sur le dos de la dame puis tendis la deuxième main pour attraper le long bras de la voyante et l'enleva doucement de son visage. Une longue coupure se révéla, traversant profondément ses yeux comme si elle demandait de diviser sa tête en deux. Le haut de son visage avait disparu sous les vagues de sang qui coulaient, tachant ses vêtements. « Laissez-moi vous aider » pria Rouge et lui demanda où se trouvait le kit de secours. « je le mérite et je ne vous laisserais pas me soigner. Ne vous mêlez pas dans une histoire qui ne vous appartient pas » répondit la dame sèchement. « Mais vous perdez trop de sang ». La voyante resta silencieuse et après quelques minutes elle lui ordonna de lui amener le kit qui se trouvait dans le tiroir de son bureau. Rouge obéit et tendit les ciseaux et le petit kit aux mains tremblantes remplis de sang. La voyante ne lui laissa plus aider, seulement parfois, pour couper les longs pincements. La jeune fille attendit avec impatience à côté. « Je suis aveugle à présent et je serai aveugle. C’est mon destin» chuchota la voyante après avoir fini de se soigner. Le sang arrêta de couler. Elles étaient toutes les deux assises sur le sol glacé.
« Que s’est t'il passé madame ? » demanda Rouge mais la voyante coupa ses paroles pour lui demander le vin qui lui avait été envoyé. La jeune fille, mal à l'aise, se dit que c’était un mauvais moment pour lire son avenir mais lui apporta la bouteille quand même et le servit dans les deux grandes tasses qu’elle trouva sur la table. C’est à ce moment qu’elle remarqua une statue de verre, éclatée sur le sol, déformée. La voyante tendit le liquide à la couleur de son sang auprès de ses lèvres et à la grande surprise de la fille, il devint gris et léger, tandis que son verre à elle resta Rouge. « Madame. Votre vin... il est devenu gris ». La voyante posa le verre brutalement sur le sol et prit un soupir humide. « Sais-tu ce que ça fait de pleurer sans yeux ? » elle attendit un peu puis reprit « c’est comme inventer une couleur et être la seule à pouvoir la voir ». La voyante reposa alors le verre et avança sa main vers le panier ou se trouvait les cheveux elle en saisit une poignée et elle annonça que la lecture de l’avenir allait commencer. Rouge retint sa respiration. La Voyante plongea alors les cheveux dans son verre de vin. Le liquide devint alors noir.
Et là où le visage de la voyante était scindé en deux sortit une créature terrifiante,
Ses yeux jaunes toisaient Rouge qui resta paralysée par la peur. La bête s’adressa alors à elle avec une voix rauque, animale “Depuis dix ans maintenant je t’écoute, je te vois, attendant enfin l’occasion de t’attraper” La jeune fille ne parvenait pas à se lever tant ses jambes lui semblaient faibles et les griffes de l’être se refermèrent sur elle.
FIN
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